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[Dossier Libr-mai] Pierre Gauyat, Amila le passeur (Jean Meckert / Jean Amila)

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Jean Meckert a mené une double carrière littéraire, l’une sous son véritable patronyme dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard, qui ne lui a pas permis de connaître la notoriété, et une autre sous le pseudonyme de John, puis Jean, Amila, toujours chez Gallimard, mais au sous-sol, là où se trouvent les bureaux de la Série noire. La carrière de Jean Meckert a commencé sous des auspices atypiques. Né en novembre 1910 dans un milieu ouvrier parisien, il commence à travailler à treize ans, le certificat d’étude à peine en poche. Nous sommes au début des années vingt et la vie d’un jeune apprenti n’est pas facile, il trouve du travail dans différentes entreprises de son quartier de Belleville, à Paris. La crise de 1929 n’arrange pas sa situation sociale et il exerce toutes sortes de métiers pour survivre. On retrouvera la trace de cette vie précaire dans ses romans comme La Lucarne, paru en 1945, ou dans le recueil de nouvelles Abîme et autres contes inédits, écrites dans les années trente mais éditées seulement en 2012, chez Joseph K. En 1939, il est appelé à rejoindre son régiment sur la ligne Maginot, en Lorraine. Au printemps 1940, la débâcle des armées françaises le conduit jusqu’en Suisse où il est interné jusqu’en 1941. Rentré à Paris, il trouve un emploi à l’état civil de la mairie du XXème arrondissement ; peu satisfait de sa condition, il envoie le manuscrit d’un roman à Gallimard. Ce texte, Les Coups, raconte la relation tumultueuse entre une secrétaire, dont la famille se pique de culture bourgeoise, et un jeune ouvrier. Ce roman enthousiasme Raymond Queneau qui décide de l’éditer. André Gide lui consacre l’une de ses chroniques dans le Figaro. La carrière littéraire de Jean Meckert est lancée. Ce roman est disponible en Folio depuis 2002. Malheureusement pour lui, ses romans suivants, L’Homme au marteau, La Lucarne, Nous avons les mains rouges ou La Ville de plomb, malgré leurs qualités, ne suscitent pas le même engouement et, au début des années cinquante, sa carrière paraît compromise. C’est alors que Marcel Duhamel, qui a fondé en 1945 la Série noire qu’il dirige, lui propose de rejoindre la collection. Mais il y a un problème, la Série noire ne publie que des auteurs anglo-saxons. Qu’à cela ne tienne, il adopte un pseudonyme à consonance américaine, John Amila. Y’a pas de bon Dieu ! paraît sous ce pseudonyme en mars 1950, mais Jean Meckert refuse de céder tout à fait la place et il est crédité sur la couverture au titre d’adaptateur. Le roman se déroule aux États-Unis dans une petite communauté villageoise aux prises avec un consortium qui veut noyer sa vallée pour construire un barrage hydro-électrique. Cette histoire américanisée reste très française car il s’agit de la lutte des habitants de Tignes qui refusent l’ennoiement de leur village au début des années cinquante. Amila n’est d’ailleurs pas le premier Français dans la Série noire : dès 1948, Serge Arcouët a fait paraître La Mort et l’Ange sous le pseudonyme de Terry Stewart. Dès 1953, avec Motus !, il revient en France, sur les bords de la Seine, dans une histoire un peu embrouillée sur fond de luttes syndicales. Il garde son pseudonyme américain à la Série noire jusqu’à son dernier roman en 1986, même lorsque la supercherie est éventée, mais il reprend son prénom français, Jean, avec Les Loups dans la bergerie, en 1959. Jean Amila accompagne l’histoire du roman policier français des années cinquante aux années quatre-vingt car s’il n’a pas l’influence d’un Manchette ou d’un Daeninckx, qui ont marqué leur époque et les auteurs de polar qui les ont suivis, il est une référence pour de nombreux écrivains contemporains, dont, justement, Didier Daeninckx qui ne manque jamais de lui rendre hommage. Il n’hésite pas à accompagner les modes du polar comme lorsque les goûts du public se portent, à la suite du succès des romans d’Albert Simonin, sur les histoires de truands. Cependant, il ne saurait être question pour lui de suivre une mode sans tenter de la sublimer. C’est ce qu’il fait avec La Bonne Tisane et Sans attendre Godot. Dans le premier titre, les véritables héros du roman ne sont pas les truands mais les élèves infirmières qui prennent leur première garde à l’hôpital. Dans le roman suivant, on retrouve les personnages survivants du précédent ; cette fois c’est un modeste postier qui part en guerre contre les propriétaires d’un magasin dans lequel sa femme a péri lors d’un incendie, qu’il soupçonne d’être criminel, pour toucher la prime d’assurance. Contrairement aux romans de Simonin ou d’Auguste le Breton, si ses personnages ne s’expriment pas comme des académiciens, ils n’utilisent pas l’argot qui est un peu la marque de fabrique de ces deux auteurs. On croisera d’autres truands au fil de ses œuvres, ces personnages sont devenus des figures emblématiques du roman policier mais chez Amila, ils sont toujours placés au second plan, ils ne sont jamais les héros de ses romans, comme dans Langes radieux ou Les Loups dans la bergerie où il brosse de puissants portraits de personnages féminins. Au début des années 1970, Jean Amila développe une sorte de phobie pour les services secrets et consacre une série de romans à démontrer leur dangerosité. Il commence en 1969 avec Les Fous de Hong-Kong qui se déroule dans la colonie britannique sur fond de rivalité entre les services de l’Ouest et les Chinois. En 1970, il propose Le Grillon enragé qui se déroule en partie lors des événements de Mai 68 en France et durant l’été suivant en Sardaigne. Là encore l’histoire est passablement embrouillée et peut se résumer à une charge contre les Services de renseignement. En 1972 et 1973, il fait paraître une série de trois romans qui mettent en scène un policier hippy directement issu du mouvement de Mai 68, Édouard Magne, dit Géronimo, en raison de ses cheveux longs et de son bandeau indien. La Nef des dingues, est encore une histoire passablement obscure dans laquelle les barbouzes tiennent le mauvais...

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