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[Création] Journal de confinement en quête de réseau (2) – Philippe Boisnard

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Nous présentons ici le journal de confinement en quête de réseau, tel que tous les jours il le rédige sur Facebook. Loin de s’appesantir sur des états d’âme, sa réflexion tente d’éclairer ce temps de confinement inter-humain, et les interactions qui s’y effectuent sur les réseaux sociaux. Dans cette deuxième livraison : du jour 10 à 14. [Lire la première livraison]   Jour 10 – 6h40 : paradoxe des chiffres Et on compte, et on décompte, d’unités en multiples, on additionne, on multiplie, on divise et on coefficiente, on officialise, on cumule, on pèse et soupèse, on agrège chiffre après chiffre, on regarde encore, on appréhende les comptes. Au Moyen-Age, le livre de compte s’appelait le livre de raison. Et pourtant dans cet exercice actuel, il semblerait qu’il y ait une double irrationalité à l’œuvre. Les gouvernements nous ont appris que les additions sont relatives aux ensembles considérés. Par exemple, pour le chômage, il suffit de changer la définition de certains sans emplois pour rectifier un pourcentage de chômeurs. Depuis des années, l’INSEE a vu ses règles modifiées : résultat, le chômage régresse alors que la population sans emploi réelle semble a minima stagner. La crise du coronavirus apparaît et obéit pour le décompte à une même logique : relativité des ensembles considérés. Et si on ne comptait que les décès enregistrés à l’hôpital ? On retire alors ceux en EPAHD, ceux qui meurent ailleurs. Relativité du nombre. Amoindrissement du compte. Cette irrationalité en entraîne une seconde . Tant qu’il n’y a pas de doute, le relatif est perçu comme un absolu. Mais dès lors que l’on doute du nombre, s’immisce la pensée du secret, du mensonge, du complot. On nous cache le vrai nombre. On veut nous manipuler. On veut relativiser. L’irrationalité, somme toute naturelle à l’entendement humain, est celle de considérer qu’il y a des causalités cachées. Sont-elles réelles ? Est-ce qu’une telle irrationalité dans le décompte des morts, mais aussi des contaminés, obéit à un projet ? Je ne saurai y répondre. Mais d’un coup de telles bévues deviennent absolument contre-productives . Car le doute contamine l’imagination et déchaîne un autre décompte, qui, lui, est fantasmatique, sans garde-fou, prêt à se nourrir de toute rumeur. Franck Thilliez, dans Pandemia, précisait bien que ce qui pouvait devenir pire que la pandémie virale était celle de la peur, propice à détruire plus fortement et durablement tout système social et politique. Jour 10 – 8h51 : coronoparanoïa. Quand, lisant un roman policier, cela te semble faire un écho paranoïaque avec ce qui pourrait avoir lieu aux USA. Jour 11 – 11h20 : docte ignorance Tout ce que j’écris depuis 11 jours n’énonce qu’une chose : mon ignorance. Reconnaître que l’on ne sait pas ne signifie pas se taire, mais peut signifier dire non à ce qui voudrait entraîner notre adhésion par facilité, par paresse, par habitude, par contrainte ou menace. Mon ignorance qui écrit dit non aussi bien aux bruits de fonds médiatiques, qu’aux prises de position, qu’aux antiennes alarmistes, qu’aux imprécations politiques, qu’aux sirènes de tous horizons. Mon ignorance n’est que question, suspension, pas en arrière pour percevoir et s’interroger. Jour 12 – 6h49 coronaréalisme : surréalité VS durréalité Impression de surréalité, la pensée désemparée s’essaie à la saisie de l’événement. Mais celui-ci, implacable, ne trouve d’équivalent que dans la fiction. Dire, raconter, témoigner ne semblerait trouver d’issue que dans ce qui auparavant, en une autre époque (si peu lointaine), s’appelait encore SF, ou anticipation. 
La pensée s’immobilise face à ce constat : le réel est une fiction morbide sans dénouement. Car, contrairement aux films ou fictions sur les épidémies, nous ne sommes pas extérieurs à la réalité diégétique, protégés par un quatrième mur, mais les figurants centraux passifs et impuissants d’un présent immanent. 
Il n’y a pas ici de scénario. Il n’y a pas de schéma narratif, faisant que le happy end sera respecté. Car chaque figurant, chacun d’entre nous est un centre, est l’acteur impuissant qui vit et expérimente cet état de fait. Comment penser un happy end lorsque l’on réalise les milliers de familles déjà endeuillées ? Comment penser un happy end quand l’horizon promis ressemble à une fiction de plus en plus totalitaire politiquement et économiquement ? 
Impression de durréalité et non pas de surréalité. Le caractère fictif du réel n’est finalement que le refus et le mouvement de protection d’une conscience qui ne réussit pas à comprendre l’état de fait auquel elle se confronte. La fiction n’est ni anticipation, ni compréhension, mais l’aveu de son impuissance. Et c’est pour cela que cette production fictionnelle face à ce qui lui arrive, elle en fait tant et tant un rire, des boutades, de l’humour bravache, des remarques cyniques ou comiques. 
La fiction ici ne répare rien, elle suspend la durréalité par une surréalité. La fiction détourne de la cruauté par l’invention hyperbolique de sa propre cruauté comme forme expiatoire, cathartique du réel . Jour 13 – 7h33 Il faut comparer. Comparer les taux de développement. Comparer le nombre de morts entre pays. Comparer les méthodologies de confinement. Comparer les thérapies. Comparer et discriminer. Comparer les chiffres et les courbes. Comparer et accuser. Comparer et juger. Comparer et donner son avis sur les comparaisons. Alors que la crise est mondiale, et ne peut qu’ouvrir à une pensée globale, les régionalismes de comparaison fleurissent et emplissent les Time lines des news. Les comparaisons se répandent et donnent comme un droit à pointer du doigt, à ériger des tribunaux d’opinions plus ou moins éclairées. A lire ce déversement, on se croirait dans une guerre d’entreprises et d’indices quasi financiers. Alors que cette crise nous pose la question du possible horizon en commun, par les logiques d’opposition, de comparaison, se renforcent les régionalismes, les particularismes, les différences. Dans cet élan, on fait comme si, comme si on avait pu mieux faire. Comme si on avait pu anticiper . Comme si on savait mieux que ceux qui prétendent eux aussi savoir. jour 13 – 10h12 : Liste de films sur...

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