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[Entretien] MASSERA, guide de l’utilisateur (Entretien de Jean-Charles Massera avec Fabrice Thumerel, 2/2)

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Impressionné depuis longtemps par le projet artistique de Jean-Charles Massera – des plus libr&critiques ! -, comme toujours dans ces cas-là, j’ai pris le temps de le laisser me hanter… Le moment est venu – et j’en suis ému – de m’entretenir directement avec son auteur… Entretien dont voici la seconde partie, centrée sur la posture critique. /FT/ [Première partie] [Pour les amateurs de biographie : ici] [Regarder « Tu sais j’crois que j’vais pas pouvoir ».] FT. Quels que soient les sujets traités, les formes et les supports choisis, ce qui est frappant c’est ta posture critique, et souvent même politique – sans vouloir évidemment ici reparler d’ « art engagé »… En fait, l’évolution esthétique que tu viens de retracer n’a-t-elle pas quelque chose à voir avec la volonté de mieux saisir ton objet ? Dans un monde postpolitique où les effets politiques sont annexés par la sphère spectaculaire, quelle marge de manœuvre reste-t-il au créateur ? Quel regard portes-tu sur le retour progressif du politique dans le microcosme poétique, notamment au travers de la déconstruction du discours médiatique, des problématiques de la guerre, de la domination économique, des flux migratoires, etc. ? (Que l’on songe à des auteurs d’âge et de poétiques différents comme Patrick Bouvet, Jean-Michel Espitallier, Claude Favre, Christophe Hanna, Emmanuèle Jawad, Sébastien Lespinasse, Juliette Mezenc, Marina Skalova, Frank Smith…). JCM. Je me souviens d’une table ronde avec Paul Otchakovsky-Laurens, Jean-Jacques Viton, Marie Darrieussecq et Jean Rolin à Marseille organisée à l’occasion des vingt ans des éditions P.O.L. Pour présenter une des particularités de mon travail (je cite de mémoire, ce ne sont pas les termes exacts), il disait (en substance donc) que ce qui l’avait intéressé dans mes livres, c’était ma manière de saisir le politique avec une forme singulière, la relation entre la forme et le politique… En gros 🙂 Une fois la table ronde terminée, il m’avait demandé si ça m’avait ennuyé qu’il ait présenté mon travail sous cet angle en évoquant cette dimension politique (il savait que je commençais à être agacé par le fait qu’on m’invite souvent à la radio pour parler de cette seule dimension en gommant ce qui faisait l’essentiel du travail… Ce qui me fera dire des années après que pour We Are L’Europe, j’avais plus été invité pour l’Europe que pour « We Are »). Je lui avais répondu qu’à partir du moment où l’on soulignait ce qui constituait la dimension majeure du processus d’écriture, ça ne me dérangeait évidemment pas. Au début des années 2000, à ces questions tournant autour de mon supposé engagement politique, je répondais en insistant sur trois aspects : D’abord si les écrivain(e)s avaient encore quelque chose à dire et si elles et ils avaient (encore) les moyens d’être entendu(e)s comme ça pouvait être le cas dans la première partie du vingtième siècle, ça se saurait. J’avançais ensuite l’argument que grosso modo mes livres n’apprenaient rien à personne d’un point de vue politique, que tout lecteur, toute lectrice de gauche lambda ne pouvait qu’être d’accord avec ce qui était raconté dans France guide de l’utilisateur ou United Emmerdements of New Order, que le travail se situait ailleurs, dans le dispositif de mise à distance de l’objet raconté, dans la manière de faire – vivre – avec, de le remettre à sa place, de représenter les mécanismes et les logiques qui le produisent, etc. Je travaillais (enfin j’essayais) les processus, les logiques de production de ce sens visé, de ces instrumentalisations mises en œuvre par des logiques économiques, financières, politiques, idéologiques… un travail au cœur du langage donc, mais au sens large, pas au seul sens littéraire (le paradigme de celui-ci m’intéressant au fond assez peu dans le sens où le littéraire n’est qu’un outil pour œuvrer sur quelque chose qui l’excède). Enfin et surtout, je répondais en disant que si l’un des enjeux du travail consistait à représenter les conditions d’être ici et maintenant, à travailler ce qui nous anime et nous constitue, à représenter, à critiquer, à mettre à distance et en perspective le sens de nos existences, alors il fallait opérer avec les logiques, les conditions, les dimensions, etc. qui sont à l’œuvre dans ces mêmes existences, ces mêmes conditions… qu’on ne les choisissait pas, elles étaient là… c’est une donnée, point (et là d’utiliser la fameuse image du « miroir qui se promène sur une grande route » de Stendhal). Mais il y a quand même d’autres raisons, plus lointaines, moins intellectuelles qui sont certainement à l’origine, non pas de l’importance que j’ai souvent accordée au politique dans mon travail, mais au moins à l’origine de certaines obsessions qui touchent à des questions politiques… Ces raisons sont familiales et elles remontent à mon enfance. Déjà, je passais presque tous mes mercredis après-midi et une grande partie de mes vacances d’été entre une grand-mère ultra-catho et une grande tante qui avait été proche des Croix-de-Feu et qui avait une idée assez particulière de l’éducation qu’il fallait dispenser aux enfants, comme celle qui consistait à me confisquer mes jouets pour me mettre en main des récits illustrés des exploits coloniaux de Lyautey afin que j’apprenne à lire tout en apprenant l’histoire de « la France » (le tout en ayant pris soin de me briefer quelques jours avant mon entrée au CE2 où les enseignants sont « tous cocos » que si plus tard j’étais comme elle ça serait bien, mais que si j’étais « coco », elle me « mettrai[t] en tôle »… Parfois, le samedi, mon père me ramenait à la réalité contemporaine en m’emmenant sur des chantiers de terrassement pour le voir tutoyer « ses » ouvriers nord-africains en bon paternaliste blanc occidental sûr de l’évidente supériorité de sa culture (alors que depuis que j’étais entré au collège du Val Fourré (Mantes-la-Jolie) mes potes étaient majoritairement les enfants de ceux à qui mon père parlait mal ou que ma grand-tante nostalgique de la France telle que la concevait Lyautey désignait par des termes immondes)… Dans ces mêmes années,...

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