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Agenda de Jean-Michel Espitallier : • SHE WAS DANCING (chorégraphie Valeria Giuga) . Jeudi 8 mars 21h, Le Point Éphémère (Paris Xe) (version performance) . Mercredi 21 mars 20h, Le Cent-Quatre (Paris XIXe) (version courte) • Jeudi 15 mars, Ecole des Beaux-Arts, Angers, 18h30. « La Musique Espitallier ». Conférence et lecture (dans le cadre du cycle Texte/Voix/Son initié par Anne-Laure Chamboissier). • Vendredi 30 mars, 18h, Médiathèque Michel Crépeau, La Rochelle. Pop Poésie (une expérience), textes (Didier Vergnaud), batterie (Jean-Michel Espitallier) • Dimanche 1er avril, 17h, Mac/Val (Vitry-sur-Seine), rencontre et lecture de « Les Incipits de maman », texte de commande en résonnance avec « Mon père » de Claude Closky. FT. Dans « Toc show » (Le Théorème d’Espitallier, 2003), De la célébrité (2012), ou encore « En guerre » (Salle des machines, 2015), tu t’attaques à notre société spéculaire-spectaculaire qui nous plonge dans un jeu de miroirs infernal, faisant imploser tous les écrans de représentations fausses au moyen d’une mécanique tout aussi infernale – une logique paradoxale-aporétique, spiralique jusqu’à l’absurde. Quelques exemples : « Acteur de l’événement montré en acteur d’événement » (« Toc show one », Flammarion, p. 55). « Témoin montré témoignant. Expert filmé expliquer. Homme vu ne se voyant pas vu. Témoin montré racontant ne pas avoir entendu. Témoin montré ayant vu un proche témoin. [...] Homme écouté dire avoir entendu. Groupe d’enfants se montrant montrés montrant. Individus montrés se montrant vus » (« Toc show two », p. 88). « Nous surveillons les vedettes sur le petit écran tandis que nous sommes nous-mêmes surveillés par d’autres petits écrans [...]. On peut imaginer que les surveillants, dans leurs cabines de surveillance, jettent parfois un coup d’œil à la télévision qui tourne en boucle pour les distraire dans leurs cabines de surveillance. La télévision doit bien proposer de temps en temps des reportages sur les surveillants des cabines de surveillance. Lesquels, parfois, doivent bien voir passer sur leurs écrans de surveillance des équipes de tournage de télévision. Qui parfois sont en route pour aller filmer des surveillants dans leurs cabines de surveillance » (De la célébrité, 10/18, p. 57-58). La boucle ad libitum dévoile un monde saturé dans lequel nous nous égarons, nous donne à voir le monde spectacularisé : « "We got him" (On l’a cravaté). Moteur ! Sadman fondu. Dissous. Gommé. Flash de 20 heures 28 à Weldon. Moteur ! Disparition totale avant liquidation. Encore quelques secondes. Moteur ! Quelques secondes encore. La guerre comme vous ne l’avez jamais vécue. "We got him" (On se l’est fait). Montré. Quelques secondes encore. Flash de 20 heures 14 » (« En guerre », Flammarion, p. 143). Ta cible privilégiée est la télévision. On enregistre très peu de références au cinéma... De même, dans ta Caisse à outils (2014), tu consacres une section aux « montages, agencements, dispositifs »... mais rien sur le cinéma ! Comment expliques-tu cette quasi-absence de tout bouquin ? Ne crois-tu pas que le cinéma joue un rôle fondamental dans/pour la poésie actuelle ? En constitue une pierre de touche ? J.-M. Espitallier. Tu as raison, le cinéma est un objet manquant dans mon travail qui se nourrit pourtant tellement de la culture pop. En fait, je n’ai jamais été un grand amateur de cinéma. Ni de télévision. Enfant, je la regardais assez peu, je m’ennuyais vite devant l’écran et je n’ai plus la télévision depuis au moins trente-cinq ans. Idem pour le cinéma. Bien sûr, j’ai vu beaucoup de choses, d’abord au lycée et à la fac, notamment tout le cinéma italien que j’adore, mais quelque chose semblait me maintenir à l’extérieur de ça. Aujourd’hui encore, j’éprouve comme une petite sensation d’asphyxie quand je m’installe dans une salle obscure, je me sens coincé, même si j’y ai vécu, comme tout le monde, des expériences éblouissantes. Tout de même, j’ai été traversé par quelques films qui ont sans doute façonné ma sensibilité d’écrivain, je pense par exemple au cinéma expressionniste allemand, Lang, Murnau ou l’extraordinaire Berlin : symphonie d’une grande ville de Ruttmann ; je pense aussi à Duvivier, Franju, aux Quay Brothers, notamment leur si onirique Institut Benjamenta qui joue de plusieurs formes narratives et plastiques. Ou à David Lynch, dont la structure de la plupart des films – ses mises en abyme, effets de miroir narratif, boucles spatio-temporelles, etc. – a pu m’inspirer dans la construction de certains de mes livres, notamment pour Le Théorème Espitallier. Et bien sûr Jean-Luc Godard pour qui j’ai une passion totale. Par exemple Les Carabiniers est à mes yeux le film qui parle le mieux de la guerre, et du crime de guerre, j’ai été très impressionné par la justesse dans cette façon d’aborder la guerre, avec une grande économie de moyens et cette malice propre à Godard. Ou la scène finale du Mépris, ce « Silencio » contre-performatif qui est pour moi l’un des moments les plus éblouissants du cinéma et qui dit tout du génie de Godard. Je pourrais encore évoquer le trailer de Pierrot le Fou, authentique poème multimédia qui atteint à une certaine perfection. J’aimerais écrire quelque chose qui soit aussi parfaitement construit, aussi puissant dans son apparente légèreté ; en fait presque tout le cinéma de Godard agit sur moi. Par exemple, la citation ou l’autocitation (comme chez les Beatles !), ce sont des figures qui me parlent. Et puis Godard le dit lui-même : ce qui compte c’est le montage. Et ça, ça dépasse le cinéma, c’est la grande question du geste artistique depuis un siècle, dans la musique, la littérature, les arts plastiques, etc. Enfin, Godard sait filmer la littérature, la peinture, peut-être même la pensée. Comme dans le magnifique Liberté et Patrie qui fut un vrai choc esthétique. C’est ça qui m’intéresse. Par ailleurs, je dois dire que j’ai regardé beaucoup de films de guerre pour écrire Army. Puis plus tard, pour une création radiophonique sur France Culture, au sujet du crime de guerre. Plutôt d’ailleurs pour analyser les façons dont la guerre est représentée, mise en scène, etc. Mais au fond, je crois que le modèle littéraire m’a beaucoup plus inspiré sur cette question du spectaculaire que tu évoques. Dans Les Illuminations, Rimbaud se fait poète-opticien,...