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[Entretien] Entretien avec Jean-Philippe Cazier (Création et critique 2, par Emmanuèle Jawad)

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Emmanuèle Jawad. Votre travail s’articule autour de différents pôles de création et critique. Sous l’angle de la création : Ce texte et autres textes (Al Dante, 2015) est précédé de divers ensembles, notamment Voix sans voix (Sils Maria, 2002), Ecrires précédé de Poémonder (Inventaire/Invention, 2004, réédité en 2009 aux éditions Publie.net), Le silence du monde (Publie.net 2009, transformé et publié en plusieurs fois dans Diacritik en 2016), C’est pourtant Joseph K. qui est là (Publie.net, 2009), Désert ce que tu murmures (La Cinquième Roue, 2006). Vous êtes également membre du comité de rédaction de la revue Chimères et votre travail critique après Médiapart se développe aujourd’hui dans le magazine numérique Diacritik. Dans cette activité dense, comment s’opère l’articulation entre ces différents domaines de travail ? Y a-t-il un axe que vous privilégiez ? Jean-Philippe Cazier. Je ne sais pas s’il y a une articulation. Peut-être qu’il n’y en a pas ou qu’il y en a plusieurs qui ne se recoupent pas toujours. Pourquoi devrait-il y en avoir? Est-ce que le présupposé ici ne serait pas celui, métaphysique, de l’unité, de l’identité, du sujet ? Si je disais « voilà comment s’articulent ces différents moments et activités », je ferais semblant de savoir précisément comment advient ce que je fais, à tel moment et pourquoi. Il y a de la pensée consciente qui accompagne ce que nous faisons mais aussi de l’inconscient, des affects, des choses qui s’imposent à nous sans que l’on sache véritablement de quoi il s’agit. Il y a une impersonnalité de la vie, une dimension impersonnelle de nos vies qui les rend, justement, vivantes. Et cette vie impersonnelle, en tant que telle, est nécessairement plus large que le « je », et plus large que la langue, que les mots. S’il y a une articulation entre tout ce que vous citez, elle n’est pas toujours décidée rationnellement. Je fais ce que j’ai envie de faire, ce que j’ai besoin de faire à un certain moment et tout cela s’agence plus ou moins, se juxtapose ou coexiste sans que j’en voie toujours clairement le lien. Parfois un lien m’apparaît après-coup et parfois non – mais c’est peut-être parce que je ne me pose pas la question de manière systématique ni très précise. Tout ça existe dans le vague et l’obscur et j’essaie d’avancer avec cette obscurité plus ou moins dense. Je pourrais aussi donner des indications biographiques mais qui ne permettraient pas de penser une cohérence et ne suffiraient pas à dire quelque chose d’intéressant du désir d’écrire et d’écrire de la poésie ou des textes de réflexion… En fait, tout dépend de ce que l’on entend par « articulation ». S’il s’agit d’une cohérence prévue, construite selon une démarche rationnelle en vue d’une fin déterminée, alors ce n’est pas le cas. Pour reprendre une notion qu’emploie Frank Smith, je parlerais plutôt de co-errance, une errance commune où les choses s’agencent mais sans véritable unité, sans point de vue surplombant ni unificateur. Mes textes poétiques fonctionnent ainsi, ils agencent des fragments, des morceaux qui co-errent et ouvrent le texte plutôt qu’ils ne le ferment sur un sens, une intention, une unité. Mes différentes activités pourraient relever de la même logique d’un agencement d’un divers qui tend à demeurer divers, qui co-fonctionne. Moi-même j’ai l’impression d’être un agencement qui fonctionne comme il peut, avec ses dimensions co-errantes et évolutives, changeantes, vagues, floues. Même s’il y a aussi un moi social avec ses points fixes, ses formations plus rigides… Si je résume, pour chercher des éléments de réponse à votre question, je pourrais dire que la logique serait celle de l’agencement, que l’articulation implique l’hétérogénéité, avec des parties qui se correspondent, qui résonnent entre elles, et d’autres non. Il faudrait aussi évoquer le hasard des rencontres – rencontres avec des livres et des auteurs. A douze ans, treize ans, je lisais André Breton, Eluard, Prévert. Je n’y comprenais pas grand chose mais ça me fascinait, que ce langage existe me fascinait. Et Rimbaud, qui me fascinait encore plus. Je ne sais pas pourquoi j’ai reconnu immédiatement le langage de Rimbaud comme mon langage, pourquoi ce paysage m’a attiré, pourquoi je m’y suis installé pour y vivre. Le rapport n’était pas réfléchi, intellectualisé, mais de l’ordre de la fascination, de l’adhésion immédiate, de l’affect. En découvrant la possibilité de ce langage, je me suis dit que c’était ce que je voulais faire, que je voulais écrire. Et je l’ai fait. Comme si être avec ce langage impliquait que j’écrive, impliquait la production d’une écriture. Une sorte d’injonction, d’évidence, de mouvement naturel. Il y aurait aussi les rencontres avec les gens, et le hasard de ces rencontres. Lorsque j’ai découvert les livres de Gilles Deleuze, je lui ai envoyé certains de mes textes, de la poésie, et il les a transmis à Michel Butel qui en a publié un dans L’Autre Journal. Et Deleuze a fait la même chose avec Chimères. C’est comme ça que je suis arrivé à Chimères, que je ne connaissais pas, j’avais 22 ans. Ensuite, Danielle Sivadon m’a fait entrer au comité de rédaction de Chimères. Je ne me souviens plus comment j’ai rencontré Patrick Cahuzac qui dirigeait Inventaire/Invention, mais il m’a proposé de faire un livre qui est devenu Ecrires. C’est en parlant avec Frank Smith que j’ai évoqué le manuscrit de Ce texte et autres textes, comme ça, au fil d’une conversation informelle. Il m’a suggéré de l’envoyer chez Al Dante, ce que j’ai fait, et quelques jours après Laurent Cauwet m’a dit ok, je le prends. Ceci pour dire que c’est surtout le hasard qui a fait que j’ai rencontré telle personne, que je me suis retrouvé dans telle revue, en situation d’écrire ceci ou cela ou de publier tel livre. Comme les personnes sont diverses, je me retrouve à faire des choses elles-mêmes diverses. En un sens, c’est l’extérieur qui me conduit, le hasard qui existe dans le monde. On pourrait dire que la logique qui articule ce que je fais est une logique du hasard auquel je fais confiance. Finalement, si la...

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