Quantcast
Channel: Libr-critique
Viewing all articles
Browse latest Browse all 1127

[Entretien] Déplacements poétiques de François Rannou, entretien avec Fabrice Thumerel

$
0
0

band-entretienRannou
Avec les derniers livres reçus de François Rannou, s’est ouvert le livre de celui qui veut "être en perpétuel décalage" et pour qui "l’identité du poème vient de son itinerrance" – mot-valise intéressant emprunté à Patrick Beurard-Valdoye qui souligne à quel point l’écriture poétique ne tient pas tant d’un parcours balisé que d’un vagabondage par sons et par mots.   « bombine la poésie sur la vitre lisse de nos mots-mots-mots » (F. Rannou, Le Livre s’est ouvert, La Termitière, 2014).   « le réel / c’est / un trait / d’angle » (Rapt, ibid., 2013).     FT. Dans élémentaire (lettre sur la poésie) (La Termitière, 2013), vous décrivez ainsi le rapport du poète à l’espace social : « le poète refuse de jouer le jeu, d’être à la place qu’on lui a réservée » (p. 7). Mais au sein de l’espace poétique, il joue le jeu, non ? Car la lutte des places y est âpre… C’est un milieu très ritualisé, hiérarchisé, souvent dominé par l’esprit de sérieux, non ? FR. Je partage en grande partie votre remarque et en effet l’expression « milieu poétique », en ce cas, me paraît plus appropriée. Je voudrais revenir, pour vous répondre, sur ce « refus de jouer le jeu » : qu’est-ce que ça veut dire ? Il existerait donc un jeu, avec des règles établies qu’il faudrait suivre et respecter pour espérer gagner sa place ? Est-ce que la démarche d’un artiste (et le poète en est un — mais j’utilise un terme un peu commode, sans doute insatisfaisant) a quelque chose à voir avec cela ? Est-ce son principal souci ? Le poète écrit-il pour ses pairs, cherche-t-il à s’installer dans un espace de reconnaissance, en se figeant dans une position repérable ? Alors là, il y a bien alors une similitude avec la volonté d’arriver à être quelqu’un socialement. Beaucoup (trop) de poètes (et je pense à de grandes figures, de tous temps jusqu’à aujourd’hui), une fois qu’ils ont peiné à trouver leur formule, leur voix ( comme on dit, d’ailleurs, toujours au singulier, je le souligne), s’y tiennent, s’y accrochent, s’établissent dans la répétition (avec des variations subtiles) de ce qui fait d’eux un point d’aboutissement, une conclusion sans l’énergie d’un départ. Ils creusent leur sillon, selon l’expression convenue, mais ne se posent plus les questions nécessaires, élémentaires : qu’est-ce que je sème et peux faire pousser qui se tournera vers la lumière, recevra la pluie, sera pris sous les vents ? Quels autres horizons, si je relève la tête, puis-je découvrir en me tournant ? Vers où puis-je partir ? Suis-je prêt à perdre ce que j’ai acquis ? En somme, suis-je vivant ? Ainsi, il faudrait, pour user d’une métaphore sportive (qui fait écho au jeu dont vous parliez au départ), sur le terrain créer des zones de décalage, des intervalles, afin de rentrer dans le mouvement même du jeu tout en le faisant advenir à un autre mouvement qui l’exhausse. Court-circuiter l’esprit de sérieux qui fonde le désir de pouvoir et d’appartenance (à un groupe, à une chapelle, à un phalanstère quelconque). Et donc, ne pas accepter le rôle que la société, par exemple la nôtre aujourd’hui, veut donner au poète — l’inscrivant dans le tout venant culturel où le propos qu’il faudrait tenir, la position qu’il faudrait adopter tiennent lieu de pensée « instantanée » ancrée dans le temps mort d’une roue libre qui s’ignore. L’éternité, c’est-à-dire tous les temps traversés, offre la seule mesure pour éprouver sa pensée (id est création-action) en l’offrant au risque, à l’imprévu, à l’accident, au désir d’expériences inassouvi. FT. Vous dirigez à la fois la revue La Rivière échappée et, sur Publie.net, la collection « L’Inadvertance » : quels liens faites-vous entre ces deux entreprises poétiques ? Quelle(s) ligne(s) directrice(s) pour chacune d’elle ? L’un des points communs élémentaires étant que vous y accueillez des écritures très différentes… FR. Je voudrais apporter une précision : La Rivière échappée, qui fut une revue et une maison d’éditions à partir de 1988, n’existe plus que pour quelques livres à tout petit tirage. Je participe à l’aventure éditoriale des éditions de La Lettre volée avec Pierre-Yves Soucy (collection Poiesis et revue L’étrangère)1. Livres « papier » donc. Et je dirige effectivement la collection de poésie aux éditions Publie.net : ce sont livres électroniques et papier2. Venons-en maintenant au cœur de vos questions. Le poète est avant tout un lecteur3 et en tant que tel il est à l’écoute. Cette question de l’écoute va avec la prise en compte de l’autre différant de soi, le constituant. Je n’aime pas aller dans la voie du rapprochement complice qui ne fait que fortifier mes propres certitudes, j’ai envie d’aller vers ce qui interroge ces convictions, les déplace potentiellement. Et puis il y a que je suis fait de plusieurs voix autres qui me fondent, me tissent, me travaillent, m’éclairent. La chance d’une parole vivifiante doit être préservée et si je m’enferme sur mes certitudes et ma « programmation » je deviens sourd et aveugle. Éditer, c’est faire naître en latin… Je ne suis pas éclectique mais ouvert4 et les contradictions qui me traversent peuvent apparaître sans craindre rien. Ce goût pour la liberté m’empêche de me fixer sur une ligne que je devrais suivre… ça ne m’empêche pas d’être exigeant et instinctif (il faut cet instinct qui sait deviner derrière un manuscrit un livre et d’autres à venir). FT. Tout comme le terme « élémentaire » – « ce qui a l’opacité du réel dans la langue » (élémentaire (lettre sur la poésie), p. 19) -, celui d’ « inadvertance » est crucial dans votre poétique, non ? L’élémentaire et l’inadvertance contre les excès de l’avant-gardisme… Mais dans le même temps, il faut continuer de lutter contre « la vieille peau poétique » (Le Livre s’est ouvert)… Votre position, proche de ce que l’on a appelé la « modernité négative », semble réconcilier expérimentation formelle et réelisme – le mot « réel » revenant de façon significative dans vos textes… FR. Le réel, dans le voile qui fait écran, fait toujours irruption, dépossède, heurte, il est singulier, irréductible à tout apprivoisement — c’est un accident, l’orage qui foudroie un homme dans un champ, cette pierre lancée à la tête, c’est aussi, bien sûr,...

The post [Entretien] Déplacements poétiques de François Rannou, entretien avec Fabrice Thumerel appeared first on Libr-critique.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 1127

Trending Articles