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[Entretien] Du spirituel à l’art électrique, entretien de Philippe Jaffeux avec Emmanuèle Jawad

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De la post-poésie au post-humain, du spirituel à l’écriture numérique/électrique… Tel est l’itinéraire de ce passionnant entretien d’une grande intensité : merci infiniment à Philippe Jaffeux et à Emmanuèle Jawad pour ce travail remarquable.   Afin de faciliter les échanges et leurs développements, cet entretien a été réalisé à partir de plusieurs conversations téléphoniques qui ont fait l’objet d’enregistrements audio. Pour une version écrite, l’ensemble de ces échanges vocaux a été retranscrit ensuite par Emmanuèle Jawad. Des modifications sur la version finale du texte de l’entretien ont ensuite été apportées par Philippe Jaffeux à l’aide d’un logiciel de reconnaissance vocale.   Emmanuèle Jawad : Alphabet se répartit sur plusieurs publications : O/ L’AN en 2011, N L’E N IEME en 2013 et Alphabet de A à M en 2014. Ces trois livres couvrent un champ d’expérimentation considérable prenant pour même motif l’alphabet. Peux-tu revenir sur la construction chronologique de cet ensemble ? Philippe Jaffeux  : Les chansons qui constituent les 26 pages de la lettre A intitulées Préface ont été écrites il y a plus de 15 ans. Elles se distinguent des autres lettres d’Alphabet. Elles se rapprochent d’ailleurs plus de la poésie romancée que de la chanson. J’ai intitulé ces chansons Préface parce qu’elles sont différentes, dans le style, des autres lettres de Alphabet. Pendant 5/6ans je n’en ai rien fait. Puis j’ai eu l’idée de poursuivre ce travail en faisant des lettres de 26 pages. L’écriture de B à Z a pris 7 années. Après corrections, je n’ai conservé que les quinze premières lettres qui ont été terminées il y a cinq ans. J’ai l’impression de n’avoir écrit que des brouillons. Je suis au service d’un alphabet perfectible où rien n’est jamais définitif et qui est toujours l’objet de transformations, de métamorphoses. La plupart de mes textes ont été publiés lorsque je n’ai plus eu l’envie de les corriger. Je ne vois pas de limites à la correction, cela peut se poursuivre jusqu’à l’épuisement, au-delà du simple besoin d’être satisfait. C’est aussi en ce sens qu’aucun de mes textes ne peut être achevé et que mon écriture est donc expérimentale. Mes textes sont toujours en devenir, ce sont des processus qui sont surtout liés à une pratique systématique du doute. J’hésite sur chaque mot que je m’apprête à écrire ou à prononcer. Alphabet n’invoque pas d’idéaux ou d’essences, il ne se réfère à aucun absolu. Si j’ai une méthode, elle consiste à essayer de me limiter à n’être rien d’autre que ce que je suis présentement en train de faire. J’essaie d’avoir une relation immédiate, instinctive, pulsionnelle avec des mots qui s’assemblent entre eux grâce au hasard et au chaos, qui est l’unique loi de mon écriture. Les phrases ainsi formées sont imprévisibles et, en retour, ce sont elles qui fabriquent ma pensée : je deviens alors aussi une création de mes textes. Alphabet tente de rendre possible l’impossible en s’appuyant sur des mesures, des limites à l’intérieur desquelles je n’ai aucun but : je ne sais pas où je vais car cela me semble être la meilleure façon d’avancer ; toujours aller de l’avant et, dans le même mouvement, tenter de s’élever. Je privilégie l’exercice, la pratique d’écrire sur mes réflexions ; mes idées, si j’en ai, viennent en écrivant et non pas en pensant. J’essaie d’automatiser mon activité au moyen d’un rythme qui doit venir à bout non pas seulement de la pensée discursive mais de la pensée tout court, du mental et, si possible, de la volonté. L’alphabet me permet de mettre en avant la matière de l’écriture. Cette intention est parfois exacerbée et peut prendre la forme d’une excroissance : représentation d’une disquette d’ordinateur (lettre M) ou d’un cédérom (lettre O). Emmanuèle Jawad : Comment te situes-tu par rapport aux écritures expérimentales, à la poésie visuelle, à contraintes? Philippe Jaffeux  : Je ne me sens pas relié à la poésie visuelle ou spatiale des années 60/70 de par mon travail avec l’ordinateur qui est à la fois le support et le thème d’Alphabet. L’emprise actuelle du numérique sur l’écriture favorise, à mon avis, un surgissement opportun des nombres. Mes textes tentent aussi de témoigner de cet état de fait. Je n’ai évidemment pas la prétention de faire quelque chose de nouveau mais j’essaye de porter un regard inédit sur des lettres antédiluviennes. L’intervention de l’ordinateur, l’utilisation des nombres comme une matière qui préexisterait aux lettres, me détache des traditions liées à la poésie graphique et peut-être même de la littérature… J’espère pouvoir façonner des octets avec l’alphabet comme un artiste qui travaillerait avec le support de sa peinture. Pour toutes ces raisons mon travail ne se réfère pas non plus à l’Oulipo, d’autant que mon rapport aux mesures n’est pas comparable à l’utilisation de contraintes. Ma poésie ou mon antipoésie est numérique car, selon cette technologie, les lettres se réduisent à être seulement des nombres. Je travaille avec, et non pas contre, des machines qui, par conséquent, particularisent mon activité. Le terme de post-poésie aurait peut-être un sens à condition qu’il soit associé à celui de post-humain, c’est à dire, en ce qui me concerne, à une écriture générée en partie par les ordinateurs. Mes textes essayent d’évoquer un entrelacement entre le langage de l’électricité et celui de l’alphabet. L’énergie de mon travail est d’abord électrique car elle émane des ordinateurs. Mes nerfs éprouvent aussi du plaisir à être mis en éveil par le flux électrique de ces machines. Toute la dynamique de mes textes est soutenue par un alphabet électrique qui aspire surtout à être l’incarnation d’un mouvement, d’un élan transcendant et libérateur. Si les réflexions de Nietzsche sur Pythagore m’ont conduit à attribuer une valeur divine aux nombres, j’utilise aussi ces derniers comme les pièces d’un jeu qui essaient de traduire le lyrisme de l’électricité. Mon activité peut être définie comme une tentative de numérisation poétique et impersonnelle de l’alphabet. Emmanuèle Jawad : Alphabet se rapporte à la lettre, dans son entité, ainsi qu’à l’alphabet, dans son ordonnancement. Dans chaque séquence, ouvrant sur une des lettres de l’alphabet, se retrouve,...

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