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Emmanuèle Jawad nous propose une passionnante découverte : l’univers de David Lespiau à partir de la parution cette année de ses deux derniers livres. [Arrière-plan : © Vija Celmins ; bandeau : © photo de Isabelle Rozembaum, dans un entretien intéressant paru sur D-fiction] David Lespiau, Nous avions, Argol, 2014, 128 pages, 18 €, ISBN : 978-2-915978-94-0 / Notes pour rien, éditions Contrat maint, 2014, ISBN : 978-2-914906-70-8. « L’écriture poétique permet de l’expérimentation pure », affirme David Lespiau dans son entretien avec Claude Chambard (CCP, n° 28, 2014). Dans sa mise en œuvre, sur le motif de la suspension, explorant les sensations, dans les airs et dans l’écriture, Nous avions se compose de neuf sections, dans un assemblage de plusieurs textes inédits et de séquences ayant paru, pour certaines, dans des formats courts (aux éditions Contrat maint, dans la revue Espace(s)). Notes pour rien, dans un ensemble bref, poursuit les recherches formelles de l’auteur dans un travail de montage d’éléments hétérogènes. Les procédures mises en place, dans l’agencement de chacune des sections de Nous avions, s’opèrent le plus souvent à partir d’un matériau préexistant (articles de journaux, livre, document iconographique, pictural) sur lequel les prélèvements, le montage, dans la découpe et l’assemblage, la compression, le détournement, les télescopages et les liens, s’établissent dans le travail de composition textuelle. Ainsi, Réduction de la révolution la nuit se construit en lien avec un article paru dans un dossier Guy Debord (CCP, n° 9) où la référence aux Œuvres cinématographiques complètes de Guy Debord est explicite dans la première version du texte, proposant ainsi, selon l’auteur, « comme une espèce de vérification de l’approche théorique par une expérimentation poétique… » Opération Lindbergh et Spirit II se réfèrent à des articles de presse (journaux Libération et Le Monde datés dans la page de notes) où l’on retrouve l’événement du crash du Boeing 737 à Charm El-Cheikh en 2004. Une autobiographie de l’aviateur Charles August Lindbergh fait l’objet, dans une troisième section, d’une compression, alors que le travail d’écriture, dans une superbe dernière séquence, Supplément Celmins, s’agence en lien avec l’œuvre plastique de Vija Celmins et de documents iconographiques (dessins de l’artiste américaine, catalogue de la rétrospective de ses dessins, à l’occasion d’une exposition monographique en 2006, au centre Beaubourg, l’Œuvre dessiné). Le travail d’écriture de David Lespiau, déjà en lien avec des œuvres plastiques, dans Aluminium (Rauschenberg), à partir de photographies, pour Ouija board, L’intérieur du jour, « ne fabrique pas d’équivalent textuel des images ; au contraire, il les efface, les transforme en une continuité autre qui a sa propre logique (…) » (cf. entretien cité). Supplément Celmins se compose en lien avec les reproductions des œuvres du catalogue de l’exposition Beaubourg consacrée à l’artiste. A chaque image correspond un texte. Le travail de Vija Celmins s’élabore d’après des photographies et des coupures de presse (source des premiers dessins de l’artiste), travail sériel sur des motifs, déserts, ciels étoilés, toiles d’araignées, série des starfieds, ciels de nuit. L’agencement des textes de David Lespiau s’ordonne en fonction des reproductions des dessins de Vija Celmins, dans le catalogue d’exposition mais aussi, dans la circulation de ce catalogue, dans son feuilletage, la numérotation désordonnée des textes de David Lespiau pouvant renvoyer aussi, notamment au début, à une lecture procédant par allers et retours dans le catalogue des œuvres de Vija Celmins. Pour cette dernière séquence, on notera la pluralité et la mise en abyme des matériaux/supports à partir desquels la plasticienne puis l’auteur travaillent. Les différentes sections de Nous avions forment un ensemble étroitement lié dont la cohérence thématique développe un lexique y afférant : suspension et mouvement dans l’espace (déplacements, rotations), lieux et engins en lien avec l’espace (zones aéroportuaires, avions et fusées, champignon atomique, Terre mais aussi Mars, Lune), sensations dans cet espace, événements s’y rapportant (vols, crashs). Plusieurs formes sont expérimentées au fil des sections, assemblage de vers et de récits, agencement de blocs textuels, coupes d’un récit et cut-up, lien avec le cinéma dans une écriture scénaristique (phrases brèves comportant peu de verbes dans Réduction de la révolution la nuit), expérimentation sur une ponctuation absente ou extrêmement réduite (Prolégomènes aux hélices), amorces d’un récit, énoncés à caractère technique, inventaire (section 3), texte de plusieurs pages en une seule phrase (L’homme suspendu). A l’examen des sensations et l’exploration des sens (en particulier dans la synesthésie vue/ouïe dans la première séquence), une écriture en prise avec un réel où son décryptage permet la mise en adéquation des espaces aérien/aquatique « ailes lisses multicoques aux chevilles à marcher sur l’eau ou voler très techniques », la simultanéité des lieux (piscine/sur Mars/ à la télévision dans Spirit II). L’espace dans ce qu’il permet (sensations, suspension, mouvements) exploré avec des notations précises, pouvant aller jusqu’à s’inscrire dans l’énumération descriptive, dans un champ lexical relevant de la technicité. Si la notion de suspension a trait également à l’écriture elle-même – « être en l’air, dans l’air, suspendu ; cette sorte de geste reflexe mental là, devant le texte à écrire » (cf. entretien cité), le mouvement dans l’espace est rotation entraînant le langage « la parole–hélice entraînée au désir de faire tourner la langue ». L’espace de la page lui-même en mouvement, chute de mots dans une phrase à la verticale, renversement d’un format pour une lecture passant au format paysage (Spirit II). L’écriture syncopée, par fragments, dans une notation précise, alterne avec des éléments narratifs (section 1), bribes télescopées, énumération, liste (section 3), amorces d’un scénario avec effets de boucles, réitération de motifs, poème en vers, mise en place d’éléments hétéroclites prélevés dans des fragments en amont, associés à la clôture d’un texte, production de signes, à l’appui du texte (entre crochets/agrafe section 6). Les expérimentations mises en place multiplient les procédés de composition formelle, dans des énoncés denses et très élaborés, renouvelant les pratiques et systèmes d’écriture mis en place, créant sans cesse des liens avec d’autres matériaux, divers supports. Poursuivant cette démarche d’ « engagement dans la forme » (cf. entretien cité), Notes pour rien, dans un ensemble court comportant 8...Clik here to view.

The post [Chronique] David Lespiau, l’écriture poétique comme expérimentation pure, par Emmanuèle Jawad appeared first on Libr-critique.