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[Chronique] Clemente Padin, Horizons ouverts, par François Crosnier

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Clemente Padín, Horizons ouverts & Autres poèmes. Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Florence Malfatto, relecture de l’auteur et de Violeta Tenté. Les Presses du réel / collection « Al Dante », printemps 2020, 96 pages, 10 €, ISBN : 978-2-37896-062-9.  le feu est libération (Horizons ouverts, p. 58)   Clemente Padín, né en 1939 à Lascano (Uruguay) a reçu le Prix d’honneur Bernard Heidsieck en 2019 pour l’ensemble de son œuvre[1]. Les Presses du réel ont publié la même année son essai De la représentation à l’action (1976) et tout récemment cette première traduction française des poèmes de jeunesse, parus entre 1965 et 1967. Comme l’écrit Laurent Cauwet dans sa postface, ce livre « permet de découvrir la préhistoire du chantier poétique de Clemente Padín, le socle à partir duquel le poète a remis en cause tous les formalismes poétiques, en a sapé les limites et contraintes, pour devenir l’un des acteurs les plus inventifs et critiques de la poésie-action, où la nécessité d’une continuelle réinvention du geste poétique est toujours sous-tendue par une critique sociale et un désir de révolution ». Horizons ouverts (Los Horizontes Abiertos) est composé de sept poèmes initialement parus en 1966 dans la revue créée par Padín, Los Huevos del Plata et édités en recueil en 1967. Autres poèmes comporte huit pièces séparées publiées dans la même revue entre 1965 et 1967. Ce sont donc les textes d’un poète âgé d’environ 25 ans que nous lisons, plus de 50 ans après leur publication en Uruguay. Le lecteur français qui entre, sans préparation, dans cette œuvre ne peut qu’être frappé par le très haut niveau d’exigence qu’elle manifeste, ce qui n’est guère étonnant lorsque l’on apprend que les poètes réunis autour de la revue se référaient à rien moins qu’Antonin Artaud, Ezra Pound, Vicente Huidobro et Sade. Dans les textes ici traduits, les épigraphes permettent également de repérer les influences avouées : Góngora, Blake, Artaud, Dylan Thomas. Si l’obsession pour le contenu politique de l’art n’a fait que croître dans le travail ultérieur de Padín, cette dimension est plutôt masquée dans ses textes de jeunesse. Certes, le premier poème du recueil se termine par le vers « l’unique espérance est la victoire » et le dernier par « hasta la victoria sempre ». Mais ce sont les seules marques d’un langage politique explicite. De même, le refus du discours à la première personne est total, à l’exception d’un poème (« Grenier 40 ») allusivement autobiographique. La lecture d’Horizons ouverts donne le sentiment d’une poésie énigmatique, d’une extrême densité, déjà totalement maîtrisée, présentant sous forme de « tableaux » saturés d’images un monde livré à la brutalité des éléments, hanté par des acteurs hostiles (le lobizón – loup-garou de la mythologie guarani – revient à plusieurs reprises) et qui est une prison pour l’homme. Cet univers qui n’a pas besoin de celui-ci n’est cependant pas sans espoir, car « cette prison est illusoire ; nous sommes la prison » (p. 14). L’aliénation n’est pas irréversible et le dernier vers indique que la lutte est une solution. Le thème du feu purificateur est présent dans presque chaque poème, jusqu’à celui intitulé La découverte du feu qui appartient à la poésie visuelle puisqu’imprononçable : il s’agit de la découverte littérale du mot « Fuego » dont les lettres sont présentées dans le désordre avant de s’ordonner.   Les éléments Alice en flammes, le plus long poème du recueil, débute comme une cosmogonie régie par le hasard qui donne naissance à la vie : Rageusement             renonçaient les paupières de l’univers pour fendre la toile d’araignée                         des éléments liés             au joug d’obscurités.   (…) À présent le hasard                         enduit de ses mains hasardeuses             les éléments ivres d’indifférence (…) La vie s’est brisée                         en milliers de morceaux incroyables     À partir de cette genèse se déploient des figures identifiées par leur origine (d’eau, d’air, de terre ou de feu), par leurs traces (tout ce qu’ils ont jeté dans la petite lagune), par leurs actes… tandis que leur statut ontologique demeure énigmatique. Seuls les éléments primitifs et les phénomènes de la nature ont droit à un nom. Enfin, l’Histoire fait violemment irruption sous la forme de la conquête : S’enauberginant de nuages             Le ciel ferme les montagnes effilées voilant la vue des conquistadors                         tandis qu’ils longent             la couche tabaqueuse des ossements ; Le temps se télescope, des tableaux contemporains se juxtaposent à l’évocation des colons, avant que le poème ne revienne à l’évocation du commencement de l’humanité, dans une forme archaïsante dont l’ironie n’est pas absente : Premièrement la flamme ét ait pure et les hommes vivoiyaient en innocence leur manger était le fruit des arbres                         et ils buvoyaient de l’eau                         ne portoyaient nulle vêture                         ils s’esjoyoient                         n’avoient point de demeures                                    ni ne creyaient en dieu                                    ni ne creyèrent en rien   Introduit dans cette partie, le thème du feu perdu et retrouvé débouche sur un finale quasi mallarméen, où les mots disséminés dans la page miment le brasier par lequel s’opère la libération : feu                                                                                                       vent de flammes                                                ignition             conflagration                                                            fureur des éléments cleur à chair brulée                                                                        cris des condamnés             À la fin de chacune des sept parties du poème, comme un contrepoint au flux du récit principal, une anagramme différente formée sur la phrase « le feu est libération » introduit une description d’état qui fait intervenir des acteurs récurrents (le figuier, le lobizón, l’exilée, la petite lagune…) dont la combinatoire donne lieu à une série de transformations, que l’on peut considérer comme une forme de « rimes ». Suivons à titre d’exemple, puisqu’il est le plus exotique à nos yeux, les vicissitudes du lobizón en sept temps : le lobizón revient/le lobizón repu /le lobizón, dans l’attente de la pleine lune, se penche pour ramasser le cadavre de la victime près de la petite lagune / le lobizón geint dans un sanglot de baves la voix des augures /le lobizón vomit le cadavre dans la citerne sèche /le lobizón se lèche le museau / le lobizón se tord entre les débris carbonisés On espère avoir donné une idée...

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